L'Encyclopédie , œuvre majeure du siècle des Lumières, a été
publiée en 17 volumes de 1751 à 1772. Voici la version intégrale de l'article consacré
à la Martinique, rédigé par Jean-Baptiste-Pierre Le Romain, un ingénieur français qui résidait en Martinique.
Cet article est extrait du tome 10 de l'Encyclopédie, paru en 1762. Pour faciliter la lecture, les "ſ" longs de l'époque
ont été remplacés par des "s", mais les curiosités orthographiques n'ont pas été corrigées.
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MARTINIQUE
ÎLE DE LA ,
s. f. (Géogr.) c'est la principale des Antilles françoises ;
elle est située par les 14° 43' & 9'' de latitude au nord de l'équateur,
& sa longitude differe occidentalement de 63° 18' 45'' du méridien de l'observatoire de Paris ;
ce qui fait 4h. 13' & 15'' de différence.
Cette île peut avoir 60 lieues de circuit, sa longueur est d'environ 25, sur une largeur inégale,
étant découpée par de grandes baies, au fond desquelles sont de belles ances de sable,
& de très-bons ports couverts par de longues pointes qui avancent beaucoup en mer ;
les rivages de l'île sont défendus par des rochers & des falaises qui en rendent l'aspect formidable ;
quant à l'intérieur du pays il est occupé par de très-hautes montagnes,
dont les intervalles forment de grands vallons remplis d'épaisses forêts,
& arrosés d'un grand nombre de rivieres & de torrens, dont l'eau est communément excellente.
Quoique le climat par son excessive chaleur, soit souvent funeste aux étrangers intempérans,
ceux qui y sont accoutumés y jouissent d'une aussi parfaite santé qu'en aucun lieu du monde ;
la terre y produit abondamment des cannes à sucre, du café, du coton, de la casse, du manioc,
des fruits délicieux, & une prodigieuse quantité de plantes & de beaux arbres,
dont le bois, les résines & les gommes ont des propriétés qui peuvent être utilement employées
tant en médecine que dans les arts méchaniques.
La culture du sucre a fait négliger celle de l'indigo, du rocou & du tabac ;
on commence depuis quelques années à reprendre avec succès celle du cacao,
dont les arbres par une espece d'épidémie, étoient presque tous morts en 1728.
La colonie que M. Dosnambuc, gouverneur de l'île de Saint-Christophe, fit passer à la Martinique en 1635,
s'est considérablement augmentée malgré les guerres qu'elle fut obligée de soutenir contre les sauvages,
& les difficultés de défricher un pays rempli de serpens venimeux & d'insectes fort incommodes.
La
Martinique est aujourd'hui très-florissante, sa ville capitale, que l'on nomme
le
Fort-Royal, est avantageusement située près d'un excellent port couvert d'une péninsule
entierement occupée par une grande citadelle, où réside ordinairement le gouverneur général ;
mais le lieu le plus considérable de l'île, tant par son étendue que par son commerce & ses richesses,
est le Fort-Saint-Pierre, distant du Fort-Royal d'environ sept lieues.
Sa situation s'étend en partie sur des hauteurs au pié d'une chaîne de montagnes,
& en partie sur les bords d'une grande plage courbée en croissant, au-devant de laquelle est une spatieuse rade,
où nombre de vaisseaux expédiés de tous les ports du royaume abordent continuellement,
excepté depuis le 15 de Juillet jusqu'au 15 d'Octobre, tems de l'hyvernage, que ces vaisseaux vont passer dans le carénage
du Fort-Royal pour être plus en sureté contre les ouragans & les ras de marée, très-fréquens pendant cette saison.
Dans la partie orientale de l'île, sont situés le bourg & le fort de la Trinité, au fond d'un grand cul-de-sac,
dans lequel les vaisseaux peuvent mouiller à l'abri des vents pendant la saison de l'hyvernage ;
ce lieu est beaucoup moins considérable que les précédens.
Outre ces trois principaux endroits, l'île est très-bien garnie dans toute sa circonférence d'un bon nombre de jolis bourgs,
dont plusieurs jouissent d'une agréable situation.
Les habitans de la
Martinique, quoique moins opulens que ceux de Saint-Domingue, sont presque tous riches ;
ils aiment le faste & la dépense ; leur affabilité envers les étrangers trouve peu d'exemple ailleurs ;
ils sont naturellement généreux & très braves.
On n'ignore pas la réputation que les corsaires de la
Martinique se sont acquis pendant les guerres
qui se sont succédées contre les ennemis de l'état.
M. Le Romain.